Travailler moins pour gagner moins
Les vieilles lunes vont se lever à nouveau. Le débat sur le partage du travail va bientôt briller dans la vie politique. C'est le réflexe de la société française quand le chômage monte. Et le chômage va non seulement monter, mais bondir. Après avoir augmenté de 50.000 par mois fin 2008, le nombre de demandeurs d'emploi a augmenté de 90.000 en janvier et risque de gonfler encore plus vite au printemps. Les entreprises ont en effet taillé dans les dépenses d'investissement ou de publicité avant de se résoudre à réduire leurs effectifs. La chute brutale de leur activité depuis l'automne commence à peine à transparaître dans les chiffres du chômage. Vu le climat actuel, il n'est pas impossible que la barre des 3 millions de chômeurs vole en éclats avant la fin de l'année. Un niveau que l'on n'avait plus vu depuis 1998, au moment, justement, où le gouvernement Jospin s'occupait de partager le travail avec la loi sur les 35 heures.
Alors, faut-il partager le travail ? Oui, évidemment. Les Français le font d'ailleurs de plus en plus. Par exemple, plus de 4 millions de salariés pratiquent aujourd'hui une forme évidente de partage, contre à peine plus de 1,5 million il y a vingt-cinq ans. Il s'agit du temps partiel, facilité puis encouragé par toute une série de mesures prises pendant les années 1990. Il faut bien sûr aller au-delà. Mais pas n'importe comment.
Les socialistes pourraient avoir la tentation de proposer la semaine de 30 heures afin de poursuivre dans la voie triomphale ouverte par les 35 heures. Comme ils n'ont pas encore lancé l'idée, c'est probablement qu'ils doutent. Tant mieux ! Sans dire, comme le président de la République, que « le partage du travail a été une erreur économique historique », force est de constater que les 35 heures n'ont pas été une arme efficace contre le chômage. Même en supposant que la réduction de 10 % du temps de travail a permis la création de 300.000 postes (un chiffre généralement admis mais sans doute surestimé), elle n'aurait ainsi accru l'emploi salarié que de 1,4 %. Et l'illusion du « travailler moins pour gagner autant » a coûté cher aux salariés, privés d'augmentations pendant des années.
Du côté de l'Elysée, on a mis en sourdine la rengaine du « travailler plus pour gagner plus » - et c'est aussi tant mieux. Si l'essor des heures supplémentaires peut avoir quelque intérêt par beau temps, c'est l'inverse sous la pluie. Face à l'adversité, les employeurs sont tentés de comprimer au maximum leurs effectifs, quitte à faire travailler davantage leurs derniers salariés en cas de nouvelles commandes. Nos gouvernants se tournent donc vers une autre formule : « travailler moins pour gagner un peu moins ». Par exemple, travailler trois fois moins pour gagner deux fois moins et partager ainsi l'emploi qui reste. C'est le chômage partiel. A petites doses, l'outil est précieux. A grosses doses, il est injuste car il organise un transfert massif de ressources publiques vers des salariés qui ont la chance de conserver malgré tout leur emploi.
La solution est ailleurs. Pas à l'échelle du pays, mais de l'entreprise. Quand l'activité dévisse, c'est elle qui doit ajuster ses ressources, non l'Elysée ou le Gosplan. Au Royaume-Uni, le « Financial Times » demande à ses journalistes s'ils ne voudraient pas par hasard prendre quelques mois de congés sans solde, ou travailler seulement trois jours par semaine. Au Japon, le partenaire de Renault, Nissan, a entamé des discussions avec les syndicats pour ramener la semaine de travail à quatre jours. Sans demander conseil à Martine Aubry, l'actuelle patronne du PS qui fut l'instigatrice des 35 heures ! Evidemment, la perspective est rarement réjouissante. Les salariés concernés vont subir une baisse de revenus, « travailler moins pour gagner moins ». Elle est tout de même préférable à la perspective de voir certains salariés gagner autant et d'autres ne plus rien gagner du tout. Quand tout n'allait pas si mal, les experts « de gauche » voulaient partager le travail pour faire baisser le chômage et ceux « de droite » voulaient assouplir ses règles. Aujourd'hui que tout va mal, ce débat est dépassé. Si les entreprises parviennent à partager le travail en souplesse, elles limiteront la casse sociale. En attendant le retour des beaux jours, où l'on pourra travailler plus pour gagner plus.
JEAN-MARC VITTORI
source:les échos http://www.lesechos.fr/info/analyses/4840063-travailler-moins-pour-gagner-moins.htm